Les factions armées qui se disputent depuis cinq mois le contrôle du Soudan continuent, sans réussir à s’imposer, de croiser le fer alors que la crise humanitaire suscitée par l’affrontement s’aggrave.

Ce qu’il faut savoir

  • Le conflit militaire opposant deux généraux qui se disputent le pouvoir depuis cinq mois ne semble pas près de se résoudre, même si on assiste à une forme de « stabilisation » des positions sur le terrain.
  • La situation paraît particulièrement préoccupante au Darfour, dans l’ouest du pays, où les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) sont accusés de se livrer à des exactions contre les populations non arabes assimilables à une forme d’épuration ethnique.
  • La situation humanitaire continue de se détériorer et force le retour au Soudan du Sud de centaines de milliers de personnes qui s’étaient réfugiées plus au nord pour échapper à la guerre civile ayant éclaté dans le pays en 2013.

« Il y a un équilibre des forces actuellement… Je ne prévois pas de cessation rapide des combats », note en entrevue Marc Lavergne, spécialiste du pays rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France.

Tant dans la capitale, Khartoum, que dans le reste du pays, on assiste plutôt à une forme de « stabilisation » des positions militaires sans que se profile pour autant la possibilité de négociations, relève l’analyste.

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Les combats entre les factions armées qui se disputent le contrôle du Soudan ont endommagé plusieurs infrastructures de Khartoum, comme la tour de la Greater Nile Petroleum Oil Company, le mois dernier.

Marie Lamensch, coordonnatrice de projets à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université de Concordia, ne voit pas non plus d’issue possible pour l’heure au conflit, qui a fait plus de 7000 morts et entraîné le déplacement de 5 millions de personnes, y compris 1 million à l’extérieur du pays.

« Aucun des deux camps ne veut lâcher le pouvoir », note Mme Lamensch, qui s’alarme particulièrement de la situation au Darfour, où les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) multiplient les exactions.

M. Lavergne note que le leader des FSR, le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », a entrepris à des fins stratégiques de s’assurer du contrôle de l’ensemble de cette vaste région de l’ouest du pays.

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Le général Mohamed Hamdan Dagalo

Ses hommes ont chassé les forces de l’armée régulière de son ennemi, le général Abdel Fattah al-Burhan, et ont repris, avec l’appui de milices locales, les efforts « d’épuration ethnique » lancés au début des années 2000 contre les populations non arabes.

Le sanglant conflit avait valu à l’ex-président soudanais Omar el-Béchir, qui a été destitué en 2019 à la suite d’un soulèvement populaire, d’être mis en accusation pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale.

Plusieurs organisations de défense des droits de la personne ont sonné l’alarme relativement à la situation au Darfour dans les derniers mois, dont Amnistie internationale, qui y voit de « terrifiantes similarités » avec la guerre menée il y a 20 ans.

Le dilemme des États-Unis

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Norvège ont condamné en août les « tueries basées sur l’appartenance ethnique et les violences sexuelles » perpétrées par les FSR tout en relevant qu’il était nécessaire de trouver une « solution négociée » au conflit déchirant le pays.

M. Lavergne note que la situation au Soudan représente un sérieux dilemme pour l’administration américaine, puisque les Émirats arabes unis, un pays allié, soutiennent activement les paramilitaires et leur fournissent des armes à partir du Tchad voisin.

Washington ne veut pas s’aliéner le petit pays, mais ne veut pas non plus, dit-il, froisser l’Arabie saoudite, qui voit d’un mauvais œil les ambitions régionales de son voisin.

Paris demeure aussi silencieux sur la situation même si les efforts d’épuration ethnique en cours au Darfour surviennent à proximité du Tchad, où des forces militaires françaises sont basées, note le spécialiste du CNRS.

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Vue aérienne d’abris de fortune utilisés par des Soudanais ayant fui le Darfour jusqu’à Adre, au Tchad.

Les pays occidentaux n’ont pas pris la mesure de ce qu’une éventuelle victoire des FSR pourrait signifier notamment pour la sécurité régionale, dit-il.

Marie Lamensch note que les États-Unis sont trop occupés avec la Chine et la guerre en Ukraine et ne disposent pas de levier efficace pour ramener le calme au cœur d’un pays et d’un continent où ils ont perdu beaucoup d’influence.

M. Lavergne pense que les pays occidentaux devraient, dans le contexte actuel, réaffirmer leur soutien à la société civile soudanaise, qui a joué un rôle central dans la chute d’Omar el-Béchir lors de manifestations ayant mené à la création d’un gouvernement transitoire comprenant les militaires.

L’exercice a définitivement tourné court après que les deux généraux en conflit, des rivaux de longue date, ont décidé en avril de régler leur différend par les armes.

« D’un désastre à l’autre »

En attendant un improbable dénouement du conflit, les organisations humanitaires multiplient les mises en garde sur la situation des populations touchées.

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Des habitants d’Omdurman, au Soudan, attendent que de l’aide alimentaire soit distribuée.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) a prévenu notamment mardi que des centaines de milliers de réfugiés qui avaient quitté le Soudan du Sud pour échapper à la guerre civile ayant éclaté dans le pays en 2013 ont fait le chemin inverse depuis cinq mois.

La situation à la frontière avec le Soudan atteint un « point critique », a relevé mardi Mary-Ellen McGroarty, une responsable locale du PAM.

« Nous voyons des familles bouger d’un désastre à l’autre, fuyant le danger pour se retrouver confrontées au désespoir au Soudan du Sud », a-t-elle prévenu.