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La guerre et les mots : comment décrire la situation à Gaza?

Une femme marche à côté de ruines

Une Palestinienne marche à côté des ruines d'un bâtiment détruit par une frappe israélienne à Rafah, dans la bande de Gaza, le 24 octobre.

Photo : (Mohammed Abed/AFP/Getty Images)

Le conflit entre Israël et le Hamas divise les communautés. Légitime défense, attaques terroristes, crimes de guerre, voire génocide... les accusations fusent de part et d'autre, et les mots sont lourds de sens. Comment faire la part des choses?

Il y a certaines règles minimales qui s'appliquent à tous les conflits armés, explique Frédéric Mégret, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université McGill. C’est, entre autres, le fait de ne pas prendre pour cible les civils directement, ainsi que l’obligation de protéger les blessés et les personnes vulnérables, et de ne pas utiliser certaines armes ou certaines méthodes de guerre qui, par nature, ne permettent pas de discriminer ou causent des effets disproportionnés, notamment sur la population civile.

Tant les forces gouvernementales que les groupes armés organisés, comme le Hamas, doivent respecter les règles de la guerre. Les violations du droit international humanitaire sont considérées comme des crimes de guerre.

Crimes de guerre présumés dans les deux camps

Il y a déjà des preuves claires que des crimes de guerre pourraient avoir été commis lors de la dernière explosion de violence en Israël et à Gaza, et tous ceux qui ont violé le droit international et pris pour cible des civils doivent être tenus responsables de leurs crimes, a affirmé le 10 octobre la Commission d'enquête permanente de l'ONU sur les violations des droits de l'homme dans les territoires palestiniens et Israël, mise sur pied par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU en 2021.

Des dizaines de personnes se trouvent autour d'un énorme cratère entouré d'édifices détruits.

Des Palestiniens cherchent des survivants dans les ruines des frappes de l'armée israélienne sur le camp de réfugiés de Jabaliya, dans l'extrême nord de la bande de Gaza, le 31 octobre 2023.

Photo : Reuters / Anas al-Shareef

Proche-Orient, l’éternel conflit

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Un panache de fumée s'élève à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023.

Les attaques du Hamas du 7 octobre, lorsque des militants lourdement armés s'en sont, entre autres, pris à des civils israéliens, tuant au moins 1400 personnes et prenant des dizaines d’autres en otages, constituent des crimes de guerre présumés, a confirmé le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan.

Si vous tirez directement sur des civils, la question de l'intention n'est pas très complexe. Quand le Hamas se filme en train d'exécuter des civils, c'est clairement un crime de guerre.

Une citation de Frédéric Mégret, codirecteur du Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique à l’Université McGill

Par contre, il est beaucoup plus difficile de prouver une intention criminelle dans le cadre d’une guerre plus conventionnelle, dans laquelle les morts de civils deviennent des dommages collatéraux.

Ce n'est pas forcément un crime de guerre s'il y a des civils qui sont tués, dès lors que l'on a tout fait pour minimiser les dommages collatéraux, et que ces dommages collatéraux ne sont pas manifestement excessifs par rapport à l'objectif militaire recherché, précise le chercheur.

Après les massacres du 7 octobre, Israël a déclaré la guerre au Hamas et mené des milliers de frappes aériennes sur Gaza. Des milliers de personnes ont péri dans ces bombardements, dont des combattants présumés, mais aussi des centaines d’enfants.

Cette semaine, l’armée israélienne a attaqué le camp de réfugiés de Jabaliya, causant la mort de dizaines de Gazaouis et endommageant de nombreux bâtiments.

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a déclaré mercredi que l'ampleur des destructions ainsi que le nombre élevé de morts et de blessés civils lui faisaient craindre sérieusement qu'il s'agisse d'attaques disproportionnées qui pourraient équivaloir à des crimes de guerre.

Selon Israël, les bâtisses ciblées servaient de refuge aux combattants du Hamas. Le bombardement aurait permis d'éliminer un des responsables de l'attaque du 7 octobre, Ibrahim Biari. En outre, des dizaines de tunnels ont été détruits lorsque les immeubles se sont effondrés.

Les combattants du Hamas se cachent parmi la population et apportent eux-mêmes le désastre à Gaza, a soutenu le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari.

M. Hagari montre une carte des frappes sur Gaza.

Le porte-parole de l'armée israélienne, Daniel Hagari, lors d'une conférence de presse à Tel-Aviv, le 18 octobre 2023.

Photo : Getty Images / GIL COHEN-MAGEN

L’armée israélienne affirme respecter les normes juridiques internationales et ne frapper que des cibles militaires légitimes.

Le grand débat est de déterminer si les dommages civils sont avant tout collatéraux à la poursuite normale des hostilités ou s’ils sont recherchés en tant que tels par l'armée israélienne à des fins de représailles. Personne ne peut en être entièrement sûr aujourd'hui.

Une citation de Frédéric Mégret, codirecteur du Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique à l’Université McGill

Cibler délibérément des hôpitaux ou des camps de réfugiés peut être un crime de guerre, observe Marie Lamensch, coordinatrice de projets à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia. Cependant, dans la mesure où les combattants du Hamas se cachent parmi la population, qu’ils utilisent comme bouclier humain, faire la part des choses est très compliqué.

On définit un crime de guerre comme le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu'elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct attendu. (Article 8 du statut de Rome)

Qu’en est-il de la légitime défense?

Israël a invoqué à plusieurs reprises son droit à se défendre après les agressions du Hamas. Est-ce que la brutalité de cet assaut lui donne carte blanche dans sa riposte, comme il le prétend?

Plusieurs corps gisent par terre, dans des sacs noirs.

Plusieurs personnes ont été tuées par les combattants du Hamas dans le kibboutz Kfar Aza, au sud d'Israël.

Photo : Reuters / VIOLETA SANTOS MOURA

Le droit à la légitime défense ne justifie pas la violation du droit de la guerre, souligne Frédéric Mégret. C'est absolument clair.

La légitime défense vient avec des contraintes. Elle doit, notamment, être utilisée en réponse à une attaque, explique M. Mégret.

Le droit à la légitime défense, c'est un droit d'utiliser la force pour repousser l'attaque initiale, mais ça ne donne pas forcément l'autorisation d’envahir l'ensemble de Gaza et de poursuivre chaque membre du Hamas jusqu'au fond de son tunnel.

Une citation de Frédéric Mégret, codirecteur du Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique à l’Université McGill

Plusieurs personnes soulèvent également la question de la proportionnalité.

Depuis le 7 octobre, l'armée israélienne a largué plus de 12 000 tonnes d'explosifs sur la bande de Gaza, selon le gouvernement du territoire, cité par l'agence Anadolou.

Une mère tenant un bébé marche au milieu de lits et de personnes dans le désordre d'un camp de réfugiés.

Des Palestiniens déplacés dans un camp opéré par l'UNRWA, à Khan Younès, dans la bande de Gaza.

Photo : Getty Images / MAHMUD HAMS/AFP

Selon le dernier décompte de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), en date du 1er novembre, au moins 45 % de tous les logements résidentiels de la bande de Gaza ont subi des dommages. Une vingtaine d’hôpitaux ont été détruits, ainsi que 246 établissements d’enseignement et 59 lieux de culte.

L'armée israélienne a également imposé le 9 octobre un siège complet de la bande de Gaza, interrompant les livraisons de nourriture, d'eau et de carburant. Après la conclusion d’une entente, plus de 200 camions d’aide humanitaire ont pu passer, une quantité bien insuffisante pour combler les besoins de 2,3 millions de personnes.

Empêcher l'approvisionnement en secours prévu par les Conventions de Genève peut constituer un crime relevant de la compétence de la Cour, a déclaré Karim Khan, qui a appelé Israël à s'assurer que les civils reçoivent de la nourriture et de l’eau de base ainsi que les fournitures médicales dont ils ont besoin.

Le procureur de la CPI a d’ailleurs confirmé que le tribunal était compétent pour se pencher sur le conflit, puisque la Palestine est un État membre.

Personne ne nie qu'Israël ait le droit de contrôler ce qui rentre à Gaza dans le cadre d'un conflit armé pour éviter que le Hamas ne se réapprovisionne, mais de là à couper l'eau et l'électricité à toute une population, il y a vraiment un pas, remarque Frédéric Mégret.

Le blocus de Gaza est, a priori, un crime de guerre.

Une citation de Frédéric Mégret, codirecteur du Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique à l’Université McGill

Peut-on parler de génocide?

Certains vont plus loin et accusent carrément Israël de commettre un génocide contre le peuple palestinien.

Un groupe d’experts rattachés au Conseil des droits de l'homme des Nations unies a notamment publié jeudi un appel à un cessez-le-feu pour empêcher un génocide.

Un homme tient une pancarte aux couleurs du drapeau palestinien sur laquelle il est écrit : Arrêtez le génocide.

Des gens manifestent un peu partout dans le monde leur appui aux Palestiniens, comme ici, à Varsovie, en Pologne, le 29 octobre 2023.

Photo : Getty Images / WOJTEK RADWANSKI

Le peuple palestinien court un grave risque de génocide, ont déclaré les experts. Il est temps d'agir. Les alliés d'Israël ont également une responsabilité et doivent agir maintenant pour empêcher son action désastreuse, ont-ils ajouté.

Ils citent notamment la situation déplorable de la population, privée d’eau potable, de nourriture, de médicaments, de carburant et de fournitures essentielles.

Le génocide, tel que défini dans l'article 6 du statut de Rome, est un acte commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Cette destruction doit être physique, la destruction culturelle ne suffit pas, pas plus que la simple intention de disperser un groupe, rappelle le Bureau de la prévention du génocide de l’ONU.

De plus, dans la jurisprudence, cette intention de destruction doit être liée à l’existence d’un plan ou d’une politique voulue par un État ou une organisation.

C’est un concept légal avec une définition claire et précise, qui est vraiment basée sur l'intention, souligne Marie Lamensch.

Pour prouver que c'est un génocide, il faut amasser pas mal de preuves qui démontrent qu'il y a une intention de détruire le groupe pour ce qu'il est. Pour l’instant, on n'en est pas là.

Une citation de Marie Lamensch, coordinatrice de projets à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia

L’experte constate d’ailleurs une tendance, sur les réseaux sociaux, à utiliser le terme de génocide de façon irréfléchie en lien avec des situations qui sont très loin de la définition de l’ONU. Le surutiliser peut faire en sorte qu’il perde son sens, déplore-t-elle.

Yoav Gallant parle dans un micro devant des soldats.

Le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant parle à ses troupes, tout près de Gaza, le 19 octobre 2023.

Photo : Associated Press / Tsafrir Abayov

L’utilisation d’un langage déshumanisant par certains dirigeants israéliens est cependant inquiétante, note Mme Lamensch. Le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, a notamment déclaré, le 10 octobre, qu’Israël combattait des animaux humains, sans préciser s’il parlait du Hamas ou des Palestiniens dans leur ensemble.

Le langage haineux et déshumanisant fait partie des choses qui peuvent mener à une violence extrême envers tout un peuple.

Une citation de Marie Lamensch, coordinatrice de projets à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia

Dans le cas du Hamas, en revanche, il n’y a aucun doute sur leurs intentions, ajoute-t-elle. Leur langage est vraiment génocidaire. Leur intention est de détruire Israël.

Quatre génocides sont reconnus officiellement : le génocide arménien de 1915, le génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, le génocide rwandais en 1994 et le génocide des musulmans de Bosnie, en 1995.

Crime contre l’humanité?

Si la situation à Gaza ne correspond pas à la définition d’un génocide, il pourrait par contre s’agir de crimes contre l’humanité, c’est-à-dire une attaque généralisée ou systématique contre une population civile. C'est plus facile à prouver qu'un génocide, parce que vous ne devez pas prouver une intention de détruire le groupe en tant que tel, explique Frédéric Mégret.

L’extermination, définie comme le fait d'imposer intentionnellement des conditions de vie, telles que la privation d'accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d'une partie de la population, fait partie des crimes contre l’humanité, tout comme la persécution, qui est le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux pour des motifs liés à l'identité du groupe.

Des gens avec des bidons jaunes cherchent de l'eau.

Des enfants font la file pour s'approvisionner en eau à Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 14 octobre.

Photo : Getty Images / Ahmad Hasaballah

Marie Lamensch estime qu’il pourrait s’agir d’un nettoyage ethnique, soit le fait de rendre une zone ethniquement homogène en utilisant la force ou l'intimidation pour faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des groupes déterminés.

Le confinement dans des ghettos, les expulsions, les déplacements et déportations, les attaques militaires délibérées des zones civiles, l’utilisation de civils comme boucliers humains, la destruction de biens, les attaques contre des hôpitaux et le personnel médical sont considérés comme faisant partie de ces mesures coercitives.

Si le nettoyage ethnique n'est pas reconnu comme un crime autonome, il s'agit d'une pratique qui pourrait être assimilée à des crimes de guerre ou à des crimes contre l'humanité, souligne le Bureau de la prévention du génocide de l'ONU.

Avec les informations de Agence France-Presse, Associated Press et Reuters

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