Apparemment obnubilés par le décès de la chanteuse Olivia Newton-John, les médias tant francophones qu’anglophones n’ont finalement qu’assez peu commenté la mort de Bill Graham survenue le 7 août dernier.

Certains ont mentionné les différentes fonctions qu’il a occupées pendant sa longue carrière de politicien de 1993 à 2007, notamment à titre de ministre des Affaires étrangères (2002-2004) et de la Défense nationale (2004-2006) ou comme chef de l’opposition officielle et leader intérimaire du Parti libéral en 2006.

La plupart des commentaires portaient sur la personnalité de M. Graham qui, de l’avis de tous, était un véritable gentleman. J’ai noté que John Baird, ancien ministre des Affaires étrangères sous Stephen Harper, pas particulièrement connu pour sa générosité à l’égard de ses adversaires politiques, a dit que M. Graham avait été un remarquable ministre des Affaires étrangères. Pour une fois, je me trouve en parfait accord avec M. Baird, qui de son côté n’a laissé que des mauvais souvenirs au sein du corps diplomatique canadien.

Pourquoi M. Graham a-t-il été un excellent ministre des Affaires étrangères ? Parce qu’il incarnait à la fois la compétence, l’expérience et l’intelligence, qu’il était parfaitement bilingue et doté d’une personnalité particulièrement affable.

En bref : un parfait diplomate qui, en plus, avait l’oreille attentive des premiers ministres Jean Chrétien et Paul Martin sous lesquels il a servi. Il avait des idées claires sur ce que le Canada pouvait faire sur la scène internationale.

J’étais directrice générale des Affaires globales lorsque M. Graham est devenu ministre des Affaires étrangères, en 2002. Le Ministère avait déjà appris à travailler au rythme souvent effréné du ministre Lloyd Axworthy et de ses nombreuses initiatives. Les attentes à l’égard de M. Graham étaient donc élevées. Il a su relever le défi avec un style différent de celui de son prédécesseur.

Comme c’était le cas avec M. Axworthy, M. Graham avait des opinions et des propositions intéressantes sur les grandes questions internationales. Je me souviens en particulier d’une discussion passionnante sur l’avenir de la Commission des droits de l’homme des Nations unies avec le regretté Sergio di Mello, alors haut-commissaire aux droits de l’homme, en marge de la réunion ministérielle du Réseau de la sécurité humaine tenue en Autriche en mai 2003.

M. Graham avait exposé avec clarté ses frustrations sur le fonctionnement de la Commission souvent entravé par des pays au bilan peu reluisant dans ce domaine et suggéré de lancer un processus pour changer les choses. En l’espace de 24 heures, il était parvenu à convaincre non seulement le Haut-Commissaire, mais aussi ses collègues du réseau de l’importance de mener une telle initiative qui, après de longs et laborieux efforts, a éventuellement débouché sur une réforme significative de la Commission.

J’ai également travaillé de près avec M. Graham lorsque j’ai dirigé le groupe interministériel dépêché au Sri Lanka et en Indonésie au lendemain du terrible tsunami qui a dévasté ces pays fin 2004. En l’espace de quelques jours, le Canada a pu annoncer le déploiement de l’équipe d’intervention en cas de catastrophe du ministère de la Défense de façon coordonnée et efficace.

Un très bon exemple de ce que le Canada peut accomplir lorsqu’il utilise son plein potentiel. J’ai aussi pu apprécier le côté profondément humain de M. Graham qui a voulu me rencontrer à mon retour de cette mission difficile. J’ai été touchée lorsqu’il m’a fait une accolade spontanée en me remerciant à profusion. M. Graham savait établir des rapports humains qui favorisaient l’engagement et la motivation des troupes.

Au risque de sembler trop nostalgique, je dirais que M. Graham a été le dernier ministre des Affaires étrangères de la belle époque où le Canada laissait sa marque sur la scène internationale, une époque où il fallait faire davantage que s’abstenir de serrer la main de Sergueï Lavrov à une réunion du G-20 pour prétendre à une véritable politique étrangère.

Les nombreux ministres qui ont succédé à M. Graham au ministère des Affaires étrangères n’avaient pas cette combinaison de dispositions naturelles, d’intérêts et de talents qui façonnent un bon ministre et évidemment ils n’ont pas été favorisés par le peu d’intérêt des premiers ministres Harper et Trudeau pour le multilatéralisme, domaine où le Canada avait excellé auparavant.

Je me souviens d’avoir tenté d’expliquer à Peter MacKay, alors qu’il venait d’être nommé ministre des Affaires étrangères par Stephen Harper en 2006, que le Canada avait mis des décennies à bâtir une crédibilité pratiquement sans égale aux Nations unies, mais que nous pourrions la perdre très rapidement si nous suivions l’approche proposée par M. Harper. Je pense que c’est malheureusement ce qui est arrivé.

Les multiples ministres qui ont dirigé les Affaires étrangères depuis le départ de M. Graham n’ont fait que diminuer progressivement l’empreinte du Canada sur la scène internationale, et nos partenaires internationaux ont finalement cessé de s’intéresser véritablement aux opinions d’un Canada dont la contribution au niveau des idées et de l’engagement international n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été ou pourrait être.

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