C’est avec tristesse que j’ai appris le décès de Madeleine Albright le 23 mars dernier. Les médias ont bien couvert son parcours extraordinaire et le rôle important qu’elle a joué au fil des ans, notamment à titre de secrétaire d’État des États-Unis de 1997 à 2001. J’ai eu le privilège de travailler avec Mme Albright en 2009-2010.

J’allais terminer mon affectation comme ambassadrice en Autriche et auprès des organisations internationales établies à Vienne lorsque le secrétaire général de l’OTAN de l’époque, Anders Fogh Rasmussen, m’a téléphoné pour me demander de me joindre au Groupe d’experts indépendants qu’il avait décidé de créer pour préparer un projet de nouveau concept stratégique pour l’Alliance.

Rasmussen m’a expliqué que le temps était venu de prendre une approche plus large des questions de sécurité et que mon expérience dans le domaine de la sécurité humaine, dont le Canada s’était fait l’ardent défenseur, serait utile au groupe. Il a aussi ajouté que ce groupe de 12 experts serait placé sous la présidence de Madeleine Albright. Comment refuser une telle occasion ? Je me suis évidemment empressée de répondre que je serais honorée de participer à un tel exercice de réflexion.

Je me suis donc retrouvée au quartier général de l’OTAN à l’automne 2009, un peu anxieuse de rencontrer les 11 autres membres de ce groupe qui avaient tous une expérience directe de l’OTAN parce qu’ils y avaient siégé en tant que ministres ou en tant qu’ambassadeurs.

Et puis, Madeleine Albright a pris la parole pour nous expliquer son approche. D’entrée de jeu, elle a su nous mettre tous à l’aise en disant que nous devions nous adresser l’un à l’autre par nos prénoms et qu’aucun sujet n’était tabou. Nous étions là pour explorer de nouvelles idées et sortir des sentiers battus (think outside the box).

Pendant environ six mois, notre groupe s’est réuni par intervalles à Bruxelles et dans diverses capitales des pays membres de l’OTAN. Nous n’avons fait qu’une visite hors de la zone OTAN, ce fut en Russie. Mme Albright estimait qu’il était important de parler aux Russes et de leur expliquer l’approche que nous allions proposer aux États membres de l’Alliance.

Notre visite à Moscou en janvier 2010 fut assez difficile, en particulier notre rencontre avec Sergueï Lavrov, l’ineffable ministre des Affaires étrangères russe, qui nous a reçus avec une envolée d’invectives sur les traîtrises de l’OTAN.

Ce fut le seul moment où j’ai vu Mme Albright perdre un peu de sa contenance. Il lui a fallu beaucoup d’efforts pour garder son calme et faire en sorte que Lavrov cesse de parler du passé pour regarder l’avenir. Mais elle y est parvenue parce qu’elle était une diplomate dans l’âme.

Avec finesse et humour mais surtout avec une redoutable efficacité, Madeleine Albright a su nous amener à formuler un rapport à la fois dense et résolu intitulé Une sécurité assurée : un engagement dynamique, qui contenait des observations et des recommandations notamment sur la défense collective, la gestion de crise, la sécurité coopérative et les relations avec la Russie. Ce rapport a servi de base aux négociations qui ont mené à l’adoption du concept stratégique de l’OTAN au Sommet de Lisbonne en novembre 2010, concept encore en vigueur aujourd’hui.

Madeleine Albright avait 72 ans lorsque je l’ai connue. En pensant à elle, je ne peux m’empêcher de me rappeler aussi son incroyable énergie (elle pouvait présider nos réunions à Bruxelles après un vol depuis New York sans passer par son hôtel) et ses diverses broches de fantaisie dont elle égayait ses sobres tailleurs et dont on soupçonnait qu’elles reflétaient son humeur sinon sa pensée du moment.

Je me souviens aussi des savoureuses anecdotes dont elle nous régalait pendant nos moments plus informels. J’étais la seule autre femme du groupe d’experts, ce qui m’a permis de développer une certaine complicité avec cette femme d’exception qui m’a beaucoup appris sur l’art de la conciliation dont nous avons tellement besoin en cette période trouble.

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