La Santé met en garde contre le dernier roman de François Blais qui parle de suicide

Le roman jeunesse<em> Le garçon aux pieds à l'envers : Les chroniques de Saint-Sévère</em>, a été publié cet automne aux éditions Fides.

Le ministère de la Santé du Québec demande aux enseignants, bibliothécaires et libraires de ne pas recommander, proposer ou même parler aux jeunes du dernier roman à succès de François Blais, qui s’adresse justement aux adolescents. Le suicide y est abordé d’une façon telle qu’il y aurait un risque d’émulation, selon le ministère.


Dans une lettre dont Le Soleil a obtenu copie, datée du 16 décembre et signée par la sous-ministre adjointe au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Marie-Ève Bédard, les autorités publiques s’inquiètent du contenu du roman jeunesse Le garçon aux pieds à l'envers : Les chroniques de Saint-Sévère, publié le 3 octobre dernier aux éditions Fides.

«La lecture du roman pourrait affecter les jeunes présentant des vulnérabilités. Ces derniers pourraient notamment adopter des comportements suicidaires par imitation. Même dans le cas d’une fiction, les risques d’imitation sont réels», lit-on dans la missive de trois pages destinées aux directeurs de santé publique des établissements du réseau, donc les directeurs régionaux de santé publique.

Mme Bédard est sous-ministre adjointe à la Direction générale de la planification, de la prévention et de la protection en santé publique au MSSS depuis juin 2020.

«Il est capital de ne pas attirer l’attention et la curiosité du public sur ce livre. Ainsi, il est recommandé d’éviter les communications aux médias ou au grand public sur le roman. Le fait de médiatiser cet enjeu et de lui donner de la visibilité risque de fragiliser davantage les jeunes qui présentent des vulnérabilités», écrit aussi la haute fonctionnaire.

Mort de l'auteur

François Blais était un auteur reconnu au Québec depuis une quinzaine d’années. Son dernier livre a connu du succès et se retrouve en ce moment dans plusieurs palmarès des meilleurs livres de l’année 2022, surtout pour le volet jeunesse.

François Blais a publié <em>Le garçon aux pieds à l'envers : Les chroniques de Saint-Sévère</em> à titre posthume. 

La lettre fait nommément référence au fait que «ce livre a été publié à titre posthume après que l’auteur se soit suicidé en mai 2022».

On mentionne que dans le roman, «les suicides [...] sont amenés sous forme de jeux et de défis», que «certains passages banalisent également un suicide complété» et qu’«aucune mention n’est faite quant à l’importance de demander de l’aide si l’on songe au suicide».

Parmi une quinzaine de «recommandations basées sur les bonnes pratiques en prévention du suicide et sur le principe de bienveillance» présentées par la sous-ministre adjointe, on compte «ne pas promouvoir le roman Le garçon aux pieds à l’envers» et «éviter la tenue d’activités culturelles en lien avec ce livre (ex. : club de lecture), de même que la réalisation de travaux scolaires sur ce même ouvrage».

«Un acte de censure»

Interpellé par les autorités de santé publique du Québec à ce sujet, l’éditeur Fides a ajouté un avertissement sur la page de son site web où le livre de Blais est présenté. Le même avis sera inséré dans les exemplaires du livre et sera expédié aux libraires, nous assure-t-on chez Fides.

La maison d’édition se dit toutefois «en désaccord avec la lecture, qu’elle estime biaisée, des autorités de santé publique.» 

«Il s’agit d’un acte de censure qui est préjudiciable à l’œuvre de l’auteur, à la réputation de la maison d’édition et, ultimement, aux lecteurs et lectrices. Pour sa part, Fides se fie entièrement au jugement des enseignants, bibliothécaires, éducateurs, libraires et prescripteurs qui ont l’habitude des univers riches de la littérature pour en juger en dernier recours», indique-t-on dans une réponse par courriel au Soleil.


Questionné par Le Nouvelliste en octobre dernier, le directeur éditorial chez Fides, David Sénéchal, avait alors affirmé qu’«il faut faire attention pour ne pas le lire l’histoire que François nous donne avec le regard qu’on a aujourd’hui, après le décès de François. C’est une œuvre à part entière. Donc il faut vraiment faire attention de ne pas la regarder avec ce prisme-là. Et François abordait des sujets terribles dans toutes ses histoires».

Le Centre de prévention du suicide Accalmie de Trois-Rivières avait également exprimé des inquiétudes à ce propos lors de la parution du livre en octobre.

La directrice générale du Centre de prévention du suicide de Québec, Lynda Poirier, n’a pas voulu commenter le cas spécifique du livre de François Blais. «On rappelle que si des gens sont affectés par une lecture, ils sont invités à contacter les ressources disponibles», dit-elle. 

La professeure au département de psychologie de l’UQAM et directrice associée au centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE), Cécile Bardon, croit que la lettre du MSSS répond aux préoccupations que plusieurs intervenants avaient au sujet de ce livre et qu’elle met de l’avant les bonnes pratiques en matière de prévention du suicide. 

«On sait qu'il y a un lien entre l'augmentation potentielle des gestes suicidaires – que ce soit des tentatives ou bien des décès par suicide –, et le fait d'avoir eu affaire à des oeuvres artistiques, que ce soit des oeuvres littéraires ou des séries télé, des films. Ça peut augmenter le danger de certains passages à l'acte, particulièrement chez des adolescents qui sont à même de s'identifier fortement avec le personnage», explique-t-elle. 

Elle reconnaît que la question est hautement complexe puisqu’elle touche à la liberté artistique des auteurs et autres créateurs. «C'est difficile de dire à un artiste : “Ne fais pas ça!” Mais les artistes doivent être conscients que la manière dont ils vont parler du suicide peut avoir un impact», nuance Cécile Bardon.

***

Vous ou vos proches avez besoin d’aide? 

Téléphonez au 1 866 APPELLE (277-3553).

-Site Web suicide.ca pour de l'information ou pour contacter un intervenant par clavardage

-intervention par texto 535353

-service de consultation psychosociale Info-Social au 811

-en cas de danger immédiat, 911