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« Ça doit se savoir », « Alter Santé », « Libre Info » : un seul homme derrière un réseau de désinformation

Les Décodeurs ont identifié un Français, Johann Fakra, derrière une trentaine de sites mensongers, présentés comme des médias « alternatifs ».

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Publié le 13 novembre 2018 à 15h43, modifié le 26 novembre 2018 à 17h28

Temps de Lecture 6 min.

« Mon site ? Je n’ai pas de site. » Lorsque Le Monde l’a interrogé sur ses activités, Johann Fakra a nié en bloc. A l’en croire, il n’est lié ni de près ni de loin à l’administration de blogs ou de sites Internet. Pourtant, c’est bien la main de ce Français que l’on trouve derrière un vaste réseau de sites et de pages Facebook, bâti patiemment depuis des années.

Ces médias qui se disent « alternatifs » diffusent régulièrement des articles sensationnalistes et de fausses informations, parfois aux accents conspirationnistes. Réunis, ils constituent l’un des plus gros réseaux de désinformation français : nous avons identifié plus d’une trentaine de sites qui en font partie, et cette liste n’est probablement pas exhaustive. Mais malgré cet activisme, Johann Fakra avait réussi à rester relativement anonyme. Jusqu’à ce que nous remontions à lui.

  • Un réseau d’une trentaine de sites de désinformation

Captures d’écran des logos des principaux sites du réseau.

A première vue, tous ces sites ressemblent à des blogs amateurs indépendants les uns des autres. Cadoitsesavoir.fr, par exemple, se veut être une « revue de presse alternative » qui diffuse des informations politiques et internationales. Ta-sante.fr, quant à lui, véhicule des conseils en matière de santé, qui ont de quoi faire tiquer l’immense majorité des spécialistes. De son côté, Tranchederire.fr diffuse des articles de divertissements sous des titres sensationnalistes. Et ainsi de suite.

Aucun de ces médias n’explique clairement qui en sont les administrateurs, se contentant de mentionner une adresse e-mail de contact générique. Nous en avons trouvé sept différentes que nous avons toutes sollicitées, sans réponse pour l’heure.

Nous avons cependant constaté qu’au moins deux signes lient formellement ces sites entre eux : d’abord, les publicités qu’ils affichent sont toutes liées au même compte Google AdSense. Cela veut dire qu’un même administrateur se charge de gérer les publicités affichées sur l’ensemble des publications. Ensuite, le même compte Google Analytics est utilisé pour mesurer l’audience de chacun d’entre eux, ce qui témoigne là aussi d’une gestion unique.

On retrouve également des éléments graphiques communs entre certains des sites, voire même des contenus similaires ou identiques de l’un à l’autre.

A gauche, un article du site Libre-Info.org. A droite, le même article sur Seelife.fr.
  • Intox et sensationnalisme à tout-va

Si tous ces sites sont trompeurs, dans le sens où leurs auteurs avancent masqués, ils nous apparaissent surtout problématiques à cause de leur contenu. Les informations qu’ils véhiculent sont reprises d’autres sources, parfois même recopiées, et pas toujours les plus fiables. On peut par exemple citer des vidéos publiées par le site d’Alain Soral, Egalité et réconciliation, ou des théories contestées d’Henri Joyeux.

Au-delà des sources, les affirmations elles-mêmes sont très souvent bancales, pour ne pas dire fumeuses. Les titres mensongers se comptent par dizaines, sur des sujets aussi variés que le résultat des élections, la politique vaccinale, le compteur électrique Linky ou la guerre en Syrie. Le site Onsaitcequonveutquonsache.com écrit ainsi que « l’attentat contre Charlie Hebdo a été fomenté par le gouvernement français ». Altersante.fr affirme que « l’ail est 15 fois plus puissant que les antibiotiques ». Cadoitsesavoir.fr fait même état, sans sourciller, d’une « rumeur » qui présente Alexandre Benalla comme « l’amant de Macron ».

Lorsqu’ils perdent en crédit, ses sites ferment et rouvrent sous un nouveau nom

Multiplier les sites a plusieurs intérêts pour leur créateur. D’abord, gagner en visibilité. A eux tous, ils cumulent une audience considérable sur les réseaux sociaux. Leurs publications sont ainsi partagées, commentées ou « aimées » autour d’un million de fois par mois sur Facebook, selon les données que nous avons pu récolter grâce à l’outil d’analyse BuzzSumo. Un point loin d’être anecdotique : ces sites sont truffés de publicités, issues de Google ou de modules, comme Taboola, qui rapportent des revenus en fonction du nombre de clics générés.

Autre intérêt : pouvoir remplacer un site par un autre lorsque l’un d’entre eux est trop exposé pour ses mensonges. Cela a, par exemple, été le cas pour Onsaitcequonveutquonsache.com, qui a sacrément perdu en crédit après avoir été mentionné dans plusieurs de nos articles et tourné en ridicule dans une vidéo de la chaîne YouTube WTFake. Interrogé par la journaliste Aude Favre sous son pseudonyme « Alain Proviste », l’administrateur du site peinait à défendre le sérieux de son travail, se réfugiant derrière le fait qu’il ne peut pas « tout tout tout vérifier ».

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Onsaitcequonveutquonsache.com a finalement été enterré au cours de l’année 2018, mais d’autres, comme Reveillezvous.fr ou Quelmonde.fr, lui ont succédé.

  • Derrière ces sites, un ingénieur informatique qui dénonce les « manipulations » des médias

Tous ces sites ont-ils été créés à des fins idéologiques, pour diffuser des messages politiques ? Ou purement mercantiles, pour permettre à leur créateur de générer des revenus publicitaires ? Vraisemblablement les deux à la fois : si beaucoup de publications portent principalement sur des sujets d’actualités, certaines s’en écartent complètement. Nous avons même retrouvé la trace d’un site pornographique dans cette nébuleuse éclectique.

Contacté par écrit, Johann Fakra n’a pas répondu à ces interrogations, contestant d’emblée jouer un rôle dans l’administration de ces médias. Nous lui avons alors demandé pourquoi la page Facebook Ça doit se savoir, qui est mise en avant sur dix de ces sites, avait été ouverte à son nom en 2014 (un élément que nous avons simplement pu constater grâce à une fonctionnalité publique de la plate-forme) :

Le premier nom de la page Facebook Ça doit se savoir était « Johann Fakra ».

« Je ne saurais l’expliquer », nous a répondu Johann Fakra, avant de mettre un terme à nos échanges. Quelques instants plus tard, la page Ça doit se savoir était inaccessible sur Facebook, et elle l’était toujours au moment de la publication de cet article.

« Il nous a dit qu’il allait travailler sur des projets de monétisation de blogs » – Un ancien associé

Sur son CV en ligne, Johann Fakra se présente comme « président fondateur » de Tu sais quoi ?, une société qui édite le « premier média 100 % libre et démocratique » dont le lancement est « prévu en 2017 ». Cette société existe bel et bien : elle a été créée en 2016 et le quadragénaire la dirige bien par l’intermédiaire d’une autre société, Timayo, créée quelques mois auparavant. Mais le site annoncé, Tusaisquoi.fr n’a pas, pour l’heure, vu le jour.

Avant de se lancer dans la création de sites Web à son compte, Johann Fakra travaillait au sein de Skilld, une société informatique de développement Web et mobile sise à Paris. « Cela fait deux ans environ qu’il a quitté l’entreprise, il nous a dit qu’il allait travailler sur des projets de monétisation de blogs », explique l’un de ses associés de l’époque. S’il concède ne pas connaître les activités exactes de son ancien collègue, il constate que ce dernier a peu à peu versé dans le conspirationnisme :

« C’était vraiment une chose sur laquelle on n’était pas en phase, les sites de désinformation et complotistes, ce n’est pas trop mon truc. Il était difficile de discuter avec lui de ces sujets. »

En 2016, Johann Fakra déclarait vouloir « créer un média participatif totalement libre et indépendant » dans une interview au site On passe à l’acte, qui recense des initiatives de « projets de bien commun ». Il y affirme être parti « en quête de vérité » après avoir survécu à un cancer. Deux ans plus tard, la galaxie de sites qu’il a réellement créée, cette fois de manière anonyme, apparaît bien loin de cet idéal.

La liste des sites administrés par Johann Fakra

Mise à jour, le 14 novembre à 11 heures : ajout de plusieurs sites liés au réseau dans notre liste.

Droit de réponse de M. Johann Fakra

Le conseil de Johann Fakra a tenu à apporter la précision suivante :

« Il y a confusion et erreur d’interprétation : Monsieur Johann Fakra est hébergeur, et non éditeur, des différents sites cités dans l’article.

Monsieur Fakra a créé une plateforme d’hébergement de blogs monétisés, et ces blogs sont en effet extrêmement pluriels. Pour autant, le pluralisme des blogs hébergés par la société Tu sais quoi ? n’est pas à confondre avec la désinformation.

Cette confusion a conduit votre journal à porter des accusations infondées et préjudiciables à l’encontre de la société Tu sais quoi ? et son fondateur, Monsieur Fakra. »

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